Page:Achille Essebac - Luc.djvu/22

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
12
LUC

Vint l’août après que se fut épuisée la se’rie des belles fêtes religieuses au milieu desquelles se découpait la fine silhouette brune et joueuse que Jeannine ne pouvait nommer. Avec sa mère elle partit, suivie de la mélancolie d’être seule dans leur résidence de Normandie, cottage d’une ample architecture plutôt que château, et que l’on appelait Moult Plaisant… la mélancolie d’être seule là-bas, ainsi que dans le luxe silencieux de leur splendide appartement de la rue Saint-Lazare. Silencieux, car Mme Marcelot ne pouvait se résoudre encore à rompre le deuil qu’un pieux souvenir voué à la mémoire de son mari avait fait jusqu’ici rigoureux. Jeannine était bien jeune pour goûter aucun des plaisirs du monde : la certitude que sa fille chérie n’avait pas à souffrir de l’existence rigide du veuvage l’encourageait à retarder dîners, théâtres et bals. Mais à Moult Plaisant Mme Marcelot permit que l’on s’amusât et que les invités fussent nombreux avec lesquels, dans l’après-midi, on organisait de folles parties en Seine, sur la côte des Deux-Amants de tragique et puérile légende, ou dans la vallée de l’Andelle. Il arriva même que des sauteries furent improvisées le soir, qui reportèrent insensiblement jusqu’à Paris la joie nouvelle de vivre après des années de claustration.

Et, que les vagues paisibles de la Seine soulevassent de frêles barques pleines d’une riante jeunesse, ou que des promenades solitaires et reposantes portassent Jeannine jusqu’aux peupliers bruissants des rives de l’Andelle, le pain bénit de la Trinité retenait ses pensées. Elle songeait au petit être délicat — et viril, et déjà grand, s’avouait-elle — qui le distribuait en