Aller au contenu

Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/402

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

deux hommes qui montrèrent des saucissons énormes. Une poularde fut lancée vers un bouquet de paumes calleuses et aussitôt saisie, disputée, tiraillée par vingt colères gesticulantes. Des poings se crispèrent et battirent des nuques baissées ; un crâne chauve sombra dans les remous des dos en gilets de lustrine sur quoi rebondirent, inopinément, un jambon roux et un pain doré, venus de l’autre estrade. Cela fit redoubler les hurlements et les bagarres de la foule, les nuages de poussière volant au soleil d’un août torride. ― quelle turpitude ! Grognait Delphine. Elle renfrogna son nez pâle, un nez d’homme, pareil à celui de son père, mais vraiment exagéré pour la figure menue d’une fille à vingt ans. Elle était toute rigide, en sa redingote de casimir, qu’ornaient vingt gros choux de satin. Denise répondit : ― dieu merci, ces bonnes gens s’amusent à leur fantaisie… et leurs gros appétits me donnent faim… est-ce qu’on pourra bientôt passer ? Elle se pencha. Beaucoup de sa nuque était visible à l’échancrure de sa guimpe, que retenaient sur la robe des nœuds de levantine grise. ― est-ce fâcheux de bâiller encore à Paris, en cette saison. Nous pourrions être dans notre terre de Blassans, ou rester, du moins, à Saint-Cloud. ― service du roi ! ― répliqua Denise, imitant la révérence du comte de Praxi-Blassans quand il s’excusait de quitter un bal de bonne heure. Les cavaliers s’amusèrent de la spirituelle adolescente qui avançait la lèvre supérieure en moue drôle, et faisait battre, devant ses yeux dignes, les frais papillons de ses paupières. Omer s’étonnait d’elle, si différente de la pensionnaire qui rédigeait au couvent des lettres majestueuses. Espiègle, elle se moquait de chacun, dans un langage riche en comparaisons bizarres. Elle provoquait, à