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Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/403

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toutes ses paroles, la surprise et la joie. Ce peuple en guenilles, gibbeux, tortu, bas sur jambes ; ces trognes rouges, ces visages mafflus ; ces membres ridiculement décharnés ; ces panses abominablement grasses dans les chemises bombées ; ces faux airs belliqueux des gardes nationaux tirés à quatre épingles, certes, le matin même, devant les glaces des épouses, et par l’aide amicale des sœurs, des mères bourgeoises ; ce grand mince à favoris touffus, ce petit à la moustache colossale, le ventre serré sous les buffleteries en croix ; ce joli lieutenant ébloui par les reflets de son hausse-col ; ce capitaine cubique et important ; ce pan de chemise hors la culotte du gamin qui essayait de se maintenir, sans glisser, sur la potence du réverbère, ― Denise remarquait, notait tout, l’égayait de plaisanteries audacieuses contrastant avec la sereine immobilité de son attitude. Delphine même se déridait parfois, bien qu’elle haussât les épaules et détournât la tête vers le cours de la Seine : le fleuve charriait des aigrettes de lumières dans le reflet ondoyant du ciel.

À l’ombre de son feutre rabattu, un violoneux faisait grincer la chanterelle de l’instrument. Son visage lamentable poussait maintes notes à prétentions de joie que démentaient trop les pièces disparates de sa houppelande, ses guêtres ficelées, les dix croûtes bossuant son bissac. Minable et sournoise, sa femelle allaitait un nourrisson gélatineux, elle supportait au dos, en un petit fauteuil, un autre enfant endormi ; le garçon de dix ans, pieds nus et haillonneux, tendait sa calotte le long des roues.


Où peut-on être mieux,
Où peut-on être mieux
Qu’au sein de sa famille ?


reprenaient en chœur les excursionnistes entassés dans