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LE SERPENT NOIR

sans doigts, des faces sans nez, des paupières collées, pour toujours, sur des yeux purulents. Contre tous les murs, à l’abri des arbres ruisselants, culs-de-jatte, aveugles et borgnes, coxalgiques et bossus, mille monstres en vie, sautillaient, psalmodiaient, rampaient, hurlaient et agitaient leurs haillons sordides, requéraient, par leurs lamentations et par le spectacle d’ulcères uniques, la pitié, d’ailleurs impassible, des cultivateurs cossus qui fouettaient leurs attelages pour épargner de la pluie à leurs costumes d’opéra.

Pourtant je faillis renverser un macrobite à longs cheveux. Sous la paille de son chapeau détrempé, il récitait des orémus, en secouant un gobelet d’étain sale. J’eus le temps d’imprimer un quart de tour à la roue de direction. Mon pneumatique constella de fange le paletot verdâtre du bonhomme, si mal nanti de sensibilité qu’il ne cessa point, pour cela, d’invoquer le dieu des aumônes, tandis que son cornac, un avorton morveux, continuait stupidement à regarder les buveurs au seuil d’une ferme transformée en vide-bouteilles. D’ailleurs, les gars abritaient, dans tous les cabarets, leurs costumes collants, leurs courtes vestes à poches de velours, et les triples rubans noirs de leurs chapeaux à boucles d’acier. Mais beaucoup de vieux allaient, tête nue, sous l’averse, pas à pas, égrenant leurs chapelets en l’honneur d’un saint. Au passage de ma voiture, et malgré les appels furieux de la trompe, ils ne se dérangeaient point. Tels les fakirs, ils ne redoutaient guère la mort au cours de prières si ferventes. Et c’étaient, ma foi, de courageux rustauds. J’avouerai même qu’ils me causèrent du dépit. J’aime que, devant