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LE SERPENT NOIR

Évidemment fine, elle ne se méprenait guère sur l’importance de notre rencontre pour ses cousins ; et elle manœuvrait afin de m’intéresser davantage aux expériences de Keryannic. Docile, je répondis à l’interrogation. Goulven développa ses théories. À vrai dire, elles me semblèrent excellentes. En moi-même je résolus de prendre pension quelques semaines à Belle-Ile. La chose valait la peine d’être approfondie. De plus, et sans verser dans les bêtises de l’amour, je n’étais pas éloigne de vouloir mieux connaitre cette madame Hélène dont les gestes mesurés, la voix mélodieuse, les formes longues et souples me captivaient. Elle s’en aperçut, ne fut pas sans user de coquetterie. Moi j’entrepris, contre elle, ces hostilités verbales et franches qui me font incontinent détester par les unes, ou tolérer, puis aimer par les autres. Celles-ci me jugent comme un vainqueur et me décernent les sympathies dévolues, dans tous les siècles, au soldat ou au riche ; celles-là m’estiment butor, grossier, impudent, et m’excluent vite de leur commerce. Madame Hélène ne sembla point m’exclure. Au contraire, elle se plut à me découvrir l’âme, en me harcelant de propos aigus. Pendant tout le repas, elle fut la dame qui, de son ombrelle, agace le molosse enchaîné dans la niche des convenances.

Inutilement Mme La Revellière désapprouvait notre jeu par ses silences et sa moue. Avec l’air qu’ont les infantes, en leurs cadres de musées, Mme Gilberte me dédaignait, muette et timide, en chipotant les bribes de ragoût éparses dans son assiette. Elle feignit même de cligner des yeux et de ciller à plusieurs reprises, comme troublée par trop de vacarme, lorsque je houspillai la servante au petit châle. Pour la