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LE SERPENT NOIR

tonnes volait avec les ailes battantes de leurs coiffes et les pans de leurs tabliers à bavettes. Préservés par des manches de toile, leurs bras maigres coupaient les tranches de pain, présentaient les soupières fumantes, apportaient les bouteilles de cidre, d’eau minérale, sous la surveillance des sœurs aubergistes, autoritaires et criardes. La clarté de la lampe renforça la beauté de la veuve. Je m’empressai pour lui faire les honneurs du beurre breton, qui est excellent. Elle en apprécia la saveur crémeuse et salée. Sa belle-mère me taquina sur ce qu’elle devinait de ma gourmandise. Elle interdit à la petite fille d’imiter ma façon de composer, dans l’assiette, une sauce flamande au vinaigre et au vin rouge qui relève agréablement le goût du bœuf. Au contraire, Mme Goulven réclama, pour sa mixture, un hachis d’échalotes que je souhaitais. Madame Hélène m’avertit que cela rendait l’haleine un peu forte. Je ripostai galamment que l’inconvénient me gênerait à peine, puisque je n’avais pas l’espoir de l’embrasser. Cette plaisanterie hussarde la fit presque blêmir. Son joli nez se pinça. Elle haussa les épaules assez brutalement. J’étais assis à sa droite ; le docteur était à sa gauche ; Mme La Révellière, avec la grave Gilberte, nous faisait face ; Mme Goulven avait choisi sa place auprès de moi. Tout de suite elle affecta de sourire comme si ma parole n’était que joyeuse. J’observai qu’à ce signal la veuve dompta sa petite colère. Elle se contenta de railler au moyen d’une phrase trop élégante et trop subtile pour que je m’en souvienne. Enfin elle me pria de discuter avec le docteur le problème scientifique entamé dehors, et qu’elle ranima d’une question propice.