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HISTOIRE

le gouvernement de demander à la France un seul homme et un seul écu pour marcher sur Berne, et termine par ces paroles surprenantes qui trahissent son indestructible instinct de jeunesse persistant à travers tous les changements de l’âge mûr et tous les calculs de l’ambition : « Certes, je ne suis pas radical, mais je suis du parti de la révolution en Europe. Je souhaite que la révolution soit dans la main des modérés ; mais, quand elle passerait dans la main des hommes qui ne sont pas modérés, je ne quitterais jamais pour cela la cause de la révolution. »

Cette fougueuse harangue étonne, indigne, ravit. Les conservateurs restent atterrés[1]. La gauche, se sentant justifiée et voyant dans ces paroles un gage sérieux d’alliance, applaudit avec passion. Les rédacteurs du National donnent, dans la tribune des journalistes, les signes du plus vif enthousiasme. Le soir, tout Paris retentit de cette popularité reconquise. D’un bout à l’autre de l’Europe, un écho prolongé répète les promesses révolutionnaires d’un homme qui touche au pouvoir, et qui bientôt, sans aucun doute, va rendre le monde témoin de leur exécution hardie.

Il n’y avait plus moyen cette fois, pour M. Guizot, de se déclarer d’accord avec M. Thiers ; aussi eut-il recours à une autre tactique. Il opposa l’opinion de M. Thiers, député de l’opposition en 1848, à celle de M. Thiers, ministre des affaires étrangères en 1836, et donna lecture de deux dépêches adressées à cette époque à M. de Montebello, ambassadeur en Suisse. « Le parti radical, disait l’une de ces dépêches, est insensé de croire qu’il y ait pour lui possibilité de s’établir en Suisse, lorsque partout ailleurs ses adhérents en sont réduits à n’oser lever la tête en présence de la réprobation générale et du sentiment universel de répulsion dont ils sont devenus l’objet. » Et plus loin « Cette faction se montre d’autant plus entreprenante, qu’en

  1. M. Molé surtout ne pouvait contenir son indignation : « Ce sont d’odieux sophismes, » répétait-il le soir dans son salon d’un ton irrité.