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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

dans les classes riches, croyaient devoir fuir une ville aux mains des barbares. M. de Lamartine ne vint que le 26 dans la soirée. Il était épuisé de fatigue ; mais son visage exprimait la confiance. Une certaine solennité tranquille, qui paraissait dans toute sa personne, contrastait avec le trouble et l’agitation de ceux qui l’abordaient. En tendant la main à M. Bastide : « Soyez content, lui dit-il, soyez heureux. Vous pouvez considérer la République comme fondée en France. » Mais M. de Lamartine ne put se défendre d’une impression de tristesse lorsqu’on lui ouvrit la chambre et le cabinet de M. Guizot ; il semblait que quelqu’un venait d’en sortir à peine et pour y rentrer aussitôt. Les meubles en désordre n’avaient point été remis en place depuis le 22. On voyait çà et là les vêtements que le ministre de Louis-Philippe avait quittés précipitamment pour se rendre aux Tuileries. Dans les tiroirs ouverts, sur les tables et les bureaux, étaient épars de l’or, des médailles, des objets précieux, des décorations, des lettres intimes. Par un singulier hasard, l’œil de M. de Lamartine tomba sur une note tracée en marge de son dernier discours à la Chambre des députés et ainsi conçue « Répondre à M. de Lamartine. Décidément M. de Lamartine et moi nous ne nous entendrons jamais. » La Providence n’avait pas attendu longtemps pour mettre en action, de la manière la plus saisissante, cette réflexion si simple écrite dans un dégagement d’esprit si parfait. Une amie du ministre déchu était présente à l’inspection décente et attristée de ses papiers publics ou privés. M. de Lamartine lui remit, ou plutôt lui laissa prendre tout ce qui pouvait être, pour la famille de M. Guizot, d’une valeur ou d’un intérêt quelconque. Par un sentiment délicat des convenances, M. de Lamartine ne voulut point habiter l’appartement particulier de M. Guizot et fit placer à la hâte quelques matelas dans les appartements de réception pour y passer la nuit, donnant ainsi l’exemple trop rare du respect qu’en des âmes élevées le succès doit à la défaite, le sort propice à la mauvaise fortune.