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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

et Ledru-Rollin, parce qu’ils se voyaient injustement soupçonnés dans l’Assemblée et abandonnés par leurs collègues dans la commission exécutive.

Le peuple à son tour murmurait. Les ateliers nationaux, oubliés dans le programme de la fête de la Concorde, menacés par le rapport que M. de Falloux venait de déposer au nom de la commission du travail, commençaient à laisser paraître des dispositions hostiles. La prison de Barbès, l’arrestation de Blanqui, servaient de texte aux conversations des ouvriers sur la place publique ; de nombreux rassemblements stationnaient dans les rues ; on y tenait mille propos séditieux. La presse communiste, un moment silencieuse, reprenait le ton menaçant, et, laissant de côté les questions politiques, elle posait ce fatal antagonisme entre la bourgeoisie et le peuple qui devait, à peu de temps de là, éclater d’une manière si formidable.

Les républicains éclairés ne voyaient pas sans chagrin de grands talents s’employer à cette œuvre de dissolution[1]. De telles erreurs servaient trop bien les partis dynastiques, pour qu’ils ne se hâtassent pas d’en profiter. Les agents légitimistes commençaient à sonder les dispositions du peuple en prononçant le nom d’Henri V. Les bonapartistes allaient, s’asseoir auprès des ouvriers, dans les banquets populaires ; ils rappelaient dans leurs discours les gloires oubliées de l’Empire et le neveu de l’Empereur captif sous

  1. Un article de madame Sand, entre autres, publié dans la Vraie République, le 28 mai, fit sensation. Elle mettait dans la bouche d’un ouvrier, qui racontait à sa femme la journée du 15 mai, l’explication que voici « Nous tombâmes tous d’accord qu’il fallait aller chercher nos armes et obéir au rappel ; mais nous y avons tous été avec l’intention bien arrêtée de tirer sur le premier habit qui tirerait sur une blouse, car, dans ce moment d’étonnement où nous ne comprenions rien du tout à tout ce qui se passait, nous sentions que Coquelet était mieux inspiré par son cœur, que nous ne l’avions été par la raison. Oui, oui, criait Bergerac, quand même ce serait Barbès qui tirerait sur la blouse, et quand même la blouse cacherait Guizot, malheur à qui touchera à la blouse ! Coquelet a raison. Voilà toute notre politique à nous autres. »