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Page:Aimard - Le forestier.djvu/171

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Le Forestier

— Je ne vous demande que quarante-huit heures. Est-ce trop ?

— Non, si vous les sauvez.

— Ne vous l’ai-je pas promis ?

— C’est vrai, merci !

Presque aussitôt José se leva et sortit.

Les trois boucaniers, tout en buvant et fumant, causèrent alors de leur expédition, et cela si longuement que Vent-en-Panne et Michel le Basque finirent par rouler ivres morts sous la table.

Le capitaine Laurent appuya alors les coudes sur la table, cacha sa tête dans ses mains et se plongea dans de profondes réflexions.

Il pensait à doña Flor.


IX

Chapitre dans lequel certains lecteurs retrouveront quelques-unes de leurs anciennes connaissances


Maître Kornick, le propriétaire du Saumon couronné, la taverne la plus riche et la mieux achalandée de toute la ville de Port-de-Paix, se dorlotait douillettement couché dans son grand lit à baldaquin aux côtés de dame Kornick, sa chaste épouse, grosse commère aux appas formidables, à la mine réjouie et à l’œil émerillonné, âgée de trente-cinq ans à peine, et qui deux ans auparavant avait traversé la mer jolie pour venir donner sa main au susdit maître Kornick, enfant comme elle du bourg de Batz, son promis depuis vingt ans en arrière.

Maître Kornick, jeté comme une épave sur le rivage de Saint-Dominique, misérable et mourant de faim, avait fait tous les métiers pour vivre ; il avait même été un peu pendu par les Espagnol, auxquels, pour ce fait peu courtois, il conservait une de ces bonnes rancunes bretonnes qui ne finissent qu’avec la vie.

Les Bretons sont rusés et surtout raisonneurs celui-ci ne laissait rien à désirer sous ces deux points de vue : il avait compris tout de suite que si l’on gagne beaucoup d’or, l’épée ou la hache au poing, en prenant des galions espa-