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Page:Aimard - Le forestier.djvu/91

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Le Forestier

les murs de cette sombre demeure ; la mort du premier propriétaire avait été enveloppée de circonstances terribles qui n’avaient jamais été bien expliquées un mystère redoutable planait depuis lors sur cette demeure que chacun fuyait et dans laquelle, disait-on tout bas en se signant, on entendait parfois des bruits et des rumeurs inexplicables, mais qui remplissaient chacun d’une invincible terreur.

Le propriétaire actuel ne t’avait jamais habitée ; une seule fois il avait voulu y établir sa résidence et s’y était rendu en annonçant l’intention formelle de s’y fixer ; mais après un séjour de quarante-huit heures à peine, il l’avait quittée avec une précipitation qui ressemblait beaucoup à une fuite, et il était revenu à Panama sans s’arrêter ni retourner la tête, laissant à un serviteur de confiance le soin de régir cette immense et magnifique propriété.

L’hacienda del Rayo, ainsi discréditée, était mise à prix à cent cinquante mille piastres, avec toutes ses dépendances, prix comparativement fort minime, car elle valait au moins cinq ou six fois plus, mais à ce prix même, le propriétaire doutait beaucoup de trouver acquéreur.

Heureusement pour lui, don Jesus entendit parler de cette vente. L’aventurier était un esprit fort, il n’ajoutait qu’une mince croyance aux contes de nourrices, ainsi qu’il le disait lui-même ; son existence avait été panachée de péripéties trop singulières pour qu’il s’effrayât des bruits plus ou moins véritables qui couraient sur cette demeure.

Il avait besoin d’une hacienda, celle-ci s’offrait à lui, le prix en était très modéré, elle était parfaitement à sa convenance ; il s’aboucha avec le propriétaire, le fit consentir à un rabais de vingt-cinq mille piastres, solda séance tenante son acquisition en bonnes onces d’or bien trébuchantes, et il devint ainsi légitime possesseur de l’hacienda del Rayo.

Plusieurs personnes s’étaient hasardées à lui faire certaines observations ; elles avaient essayé de le détourner de cette acquisition dont, disaient-elles, il ne tarderait pas à se repentir ; mais le digne hidalgo s’était contenté de sourire et de hausser les épaules, et il avait tenu bon avec cet entêtement qui formait le fond de son caractère ; en somme, l’affaire était excellente pour lui, il achetait presque pour rien une propriété de plus de trois ou quatre millions ; il n’y avait rien à répondre à cela, on se tut, mais non sans lui prédire auparavant toute espèce de malheurs.

Cependant, en apparence du moins, ces prédictions ne se réalisèrent pas ; au grand ébahissement de ses amis et connaissances, don Jesus Ordoñez continua a prospérer.

Sans se préoccuper davantage de ce qu’on disait, le nouvel haciendero fit