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Page:Aimard - Le forestier.djvu/92

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Le Forestier

sans sourciller toutes ses dispositions pour quitter Panama et aller établir sa résidence à l’hacienda del Rayo. Et effet, huit jours à peine après son marché conclu, un matin, au lever du soleil, il sortit de Panama avec sa femme et sa fille, et suivi d’une nombreuse troupe de serviteurs bien armés et montés sur de bons chevaux, il se dirigea vers l’hacienda del Rayo, où il arriva le quatrième jour vers trois heures du soir.

Ce n’était pas marcher trop vite, l’hacienda n’étant éloignée que de quatorze lieues au plus de la ville, mais les chemins étaient exécrables où, pour être plus vrai, n’existaient pas du tout ; de plus, don Jesus conduisait avec lui une vingtaine de mules chargées d’objets de toute sorte, quatre ou cinq chariots traînés par des bœufs et un palanquin dans lequel se trouvaient sa femme et sa fille.

Les femmes de service avaient été placées tant bien que mat dans les chariots. Une si nombreuse, et surtout si encombrante caravane, avait fort à faire pour sortir des ravins et des marécages dans lesquels, à chaque pas, elle s’embourbait, il fallait littéralement s’ouvrir passage la hache et la pioche à la main ; heureusement, grâce à de prodigieux efforts, on y réussit et on parvint, après des fatigues surhumaines, à atteindre l’hacienda.

L’aspect imposant et véritablement grandiose de cette magnifique demeure à l’apparence féodale réjouit fort les yeux et surtout le cœur du nouvel enrichi, qui était loin de s’attendre à une si splendide habitation ; selon sa coutume, il se frotta joyeusement les mains, et ce fut d’un air délibéré et sans le moindre souci de ce que l’avenir lui réservait peut-être dans ce château qu’il pénétra au galop de son cheval dans la cour d’honneur, où le majordome et tous les peones attachés à l’exploitation de l’hacienda attendaient impatiemment leur nouveau seigneur pour lui offrir leurs hommages et l’assurer de leur respect et de leur dévouement.

Don Jesus n’était pas homme a perdre son temps en futilités ; après avoir distribué quelques réaux aux peones et les avoir complimentés, il tes laissa et, précédé du majordome, il procéda à la visite des appartements de l’hacienda depuis les combles jusqu’aux celliers, des magasins à la chapelle et des corales aux communs.

Alors sa joie n’eut plus de bornes et se changea en enchantement. Tout était en ordre et en bon état : les meubles et les tentures eux-mêmes reluisaient comme s’ils eussent été achetés et posés de la veille. Don Jesus félicita chaleureusement le mayordomo, et pour la première fois peut-être de toute sa vie, revenant sur une résolution prise, il annonça au mayordomo qu’il le gardait et qu’il ne dépendait que de lui de mourir à son service ; le mayordomo