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Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris.djvu/342

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Il y eut entre eux un assez long silence…

Ils croyaient rêver, tant cette rencontre fortuite en plein désert leur semblait extraordinaire.

— Vous, madame, vous ici ? s’écria enfin le chasseur, d’une voix brisée par une émotion intérieure à peine maîtrisée.

— Moi-même, répondit-elle en souriant et lui tendant la main.

Le chasseur porta respectueusement cette main à ses lèvres.

— Il y a bien longtemps que je n’ai eu l’honneur de vous voir, reprit-il. J’ai fait un long voyage et traversé tout le continent américain pour vous saluer et m’entretenir quelques instants avec vous ; mais, malheureusement, ce voyage a été inutile. Depuis plusieurs années déjà vous aviez quitté New-York ; personne n’a pu me donner de vos nouvelles.

— C’est vrai, dit-elle. Pour certaines raisons que vous saurez bientôt, j’ai été obligée de me rendre au Canada, où je me suis fixée à Québec.

— Hélas ! la dernière lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’adresser porte la date de 1857 ; elle m’avait fait concevoir quelques espérances.

— Y auriez-vous donc renoncé ? fit-elle avec un vif mouvement d’intérêt.

— Hélas ! madame, répondit-il avec un soupir étouffé, que puis-je espérer aujourd’hui, dans la situation précaire où je suis réduit ?

— Comment ! de l’abattement, du découragement même… Je ne vous reconnais plus, monsieur Julian.

— Hélas ! j’ai tant souffert.

— Je le sais. Mais les âmes fortes se trempent dans la douleur !

— Vous ne connaissez pas la vie du désert, madame ; cette existence de luttes incessantes contre la nature entière, car tout nous est hostile, hommes, animaux, jusqu’au climat…

— Le peu que je connais du désert ne m’engage pas, je