Aller au contenu

Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris III.djvu/189

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il était tout au plus cinq heures du soir.

La Marlouze, plus sèche et plus hideuse que jamais, trônait majestueusement derrière son comptoir, dirigeant de là, comme un général habile ses régiments, les évolutions parfois scabreuses de sa crasseuse maritorne.

Malgré l’heure comparativement peu avancée de la journée, toutes les tables étaient garnies de consommateurs, mangeant silencieusement, les uns des portions de viande ou de légumes, les plus riches des arlequins, dont l’aspect seulement eût fait reculer de dégoût des palais très médiocrement délicats, mais qui cependant excitaient l’envie et la convoitise des consommateurs peu fortunés, réduits à leurs maigres portions de légumes.

Les consommateurs mangeaient beaucoup pour la plupart ; mais, contrairement à leurs habitudes et à ce qui se passait ordinairement, ils ne buvaient que très peu, et de façon à ne pas s’étourdir.

Le tapis-franc regorgeait littéralement de monde ; il y avait des habitués et des consommateurs partout ; beaucoup étaient contraints de se tenir debout, ou de se contenter d’un coin de table.

On aurait dit que le ban et l’arrière-ban de l’armée roulante s’étaient donné rendez-vous ce soir-là pour une œuvre sans nom, dans ce bouge immonde.

Ils étaient plus d’une cinquantaine, et formaient la plus curieuse collection de figures patibulaires et de haillons sales et pittoresquement effiloqués qui se puisse imaginer.

En cherchant bien, à travers les groupes, nous aurions sans peine reconnu dans le nombre plusieurs de nos anciennes connaissances.

Chose extraordinaire, il n’y avait ni rires, ni cris, ni éclats de voix, ni querelles. On ne parlait qu’à voix basse, quand on parlait, et cela de manière à ne produire que de légers chuchotements.

La Marlouze elle-même, qui pourtant ne s’étonnait pas facilement, semblait tout étonnée de la sagesse de ses pratiques sinistres ; et cédant à l’exemple général, elle