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Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris III.djvu/190

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mettait sans s’en apercevoir une sourdine à sa voix criarde et hargneuse.

Le cabinet de société, assez vaste cependant, n’était occupé que par deux hommes assis face à face de chaque côté d’une table, non pas servie, ils ne mangeaient pas car, — mais garnie d’encre, de papier et de plumes.

Au centre était posé un lourd registre, maculé en maints endroits de vin et de boue.

Ce registre était ouvert à la droite de l’un des deux hommes, qui semblait le consulter souvent avec intérêt.

Celui-là était ce bon M. Romieux, ou le Manchot, ainsi que le nommaient entre eux peu respectueusement les membres de l’honorable corporation : de coupe-jarrets dont il semblait être un des chefs principaux.

Il avait le corps enveloppé dans une grande houppelande de couleur lie de vin, dont le collet relevé lui cachait tout le bas de la tête.

Son crâne était protégé par un bonnet de soie noire crasseux, sur lequel était ajustée une immense visière verte qui, jointe aux larges lunettes garnies de taffetas vert posées sur son nez, empêchait de découvrir grand comme une pièce de cinquante centimes de son visage, peu agréable, complètement enfoui et dissimulé ainsi contre une curiosité dangereuse, par cette adroite combinaison d’appareils visuels si compliqués.

Le second était le Loupeur, plus cyniquement dépenaillé encore que de coutume.

Le dos au mur et les jambes allongées sous la table, il fumait dans une de ces pipes impossibles, si justement surnommées brûle-gueule, un exécrable tabac de cantine, dont l’odeur nauséabonde donnait d’affreuses quintes de toux à ce digne M. Romieux, ce dont le malandrin ne semblait que très médiocrement se préoccuper, manque complet d’égards que nous constatons avec peine.

De plus, il sirotait à petits coups, dans un verre à pied