Aller au contenu

Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris III.djvu/200

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— En effet, vous avez raison. Et maintenant, dites-moi, la croyez-vous encore coupable et complice du rapt que nous méditons ?

— Non, certes, mais je déclare hautement que vous avez admirablement mené votre barque ; que vous avez en même temps fait vos affaires et les nôtres. Vous nous avez rendu un véritable service ; car, sans vous, je l’avoue, nous aurions été fort empêchés ; mais vous avez votre récompense toute prête, heureux coquin que vous êtes, ajouta-t-il avec son sinistre ricanement.

Le Loupeur fronça les sourcils, pâlit légèrement et baissa la tête.

— Je suis un infâme gredin ! murmura-t-il.

— Bah ! dit le Manchot avec un sourire cynique, les femmes aiment à être violentées ; c’est un crime qu’elles pardonnent facilement à leur séducteur.

— Assez, misérable ! s’écria le Loupeur en frappant du poing sur la table avec une telle force, que verres, bouteilles et le reste en bondirent.

— Hum ! vous êtes singulièrement nerveux aujourd’hui, mon maître, reprit le Manchot en ricanant ; on ne sait vraiment pas comment vous prendre.

— Assez, vous dis-je ! reprit-il avec force. Plus un mot à ce sujet !

Et il ajouta, en se parlant a lui-même :

— J’ai eu tort de raviver ces souvenirs, qui me corrodent le cœur.

Il y eut un assez long silence entre les deux hommes.

Le Loupeur, la tête basse, les yeux à demi fermés, les bras croisés sur la poitrine, semblait plongé dans de profondes et tristes réflexions : il était livide, une sueur froide perlait en gouttelettes à ses tempes ; parfois, des tressaillements nerveux secouaient tout son corps ; une horrible lutte se livrait évidemment dans son cœur entre sa passion furieuse et désordonnés pour la jeune fille, et ce respect inné, et pour ainsi dire instinctif, que l’homme, même le plus pervers, éprouve pour l’innocence et la faiblesse.