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Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris III.djvu/405

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Elle prit, par un geste d’une morbidezza charmante, le bras de Julian, car elle était bien faible encore. Malgré elle, malgré son courage, la comtesse se sentait frissonner à la pensée de cette entrevue suprême avec l’homme qui l’avait pendant si longtemps poursuivie d’une haine si injuste.

— Ma fille ! parlez-moi de ma fille ? demanda-t-elle à Julian.

— Elle vous attend avec une vive impatience ; désirez-vous la voir avant ?

— Non, interrompit-elle vivement ; à ce malheureux homme d’abord… Après je tâcherai d’être heureuse en embrassant mes deux enfants.

Le Mayor semblait assoupi lorsque la comtesse s’approcha de la chaise longue sur laquelle il gisait ; cependant il l’entendit venir, car il ouvrit subitement les yeux, fit un effort pour se redresser et s’appuya sur le coude droit.

Julian avait d’un geste ordonné à Charbonneau de se retirer. Ils étaient donc, le moribond, la comtesse et Julian, seuls dans le salon.

— Je vous attendais, Léona, dit le marquis avec un sourire amer ; je vous sentais venir à moi. La partie que nous avons entamée, il y a plus de vingt ans, à Saint-Jean-de-Luz, se termine aujourd’hui à Paris. Vous m’avez vaincu. Cela devait être : vous êtes femme ! Je vais mourir ; cette fois, je ne m’échapperai plus de ma tombe. Léona, je vous lègue ma fille ; mariez-la à votre fils, qu’elle aime jusqu’à vouloir mourir pour lui ! Je vous la lègue. Puisse-t-elle vous être aussi funeste qu’elle l’a été pour moi ! Ce legs est ma dernière vengeance. Mon sang coule dans ses veines ; un jour… Acceptez-vous ?

— Vanda est ma fille ; elle ne me quittera jamais, répondit-elle avec tristesse. La fatalité qui pèse sur elle me la fait aimer davantage. Désirez-vous la voir ?

— Non, dit-il d’une voix sourde. J’ai voulu la tuer, je me punis ; je m’impose cet atroce châtiment !

— Mon Dieu !… murmura la comtesse atterrée.