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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/147

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XIII

UNE PROVIDENCE BORGNE

Dans un cabinet de travail ressemblant assez au cabinet d’un avoué ou d’un huissier, l’homme que M. Piquoiseux nommait si emphatiquement le patron, les bras croisés, donnant de temps à autre les signes de la plus vive impatience, se promenait de long en large.

La pièce était plus large que longue.

Des piles de papiers entassées les unes sur les autres, de nombreux, cartons l’encombraient.

Au milieu, un bureau ministre étalait bien des sujets de préoccupations renfermés dans des dossiers de papier jaune ou dans des serviettes de cuir brun.

L’homme n’était autre que le célèbre M. Jules, nom de guerre de ce problème, de ce Protée, de ce mythe, de ce redoutable Vidocq enfin, ce forçat émérite qui sut, Dieu sait par quels moyens, presque redevenir honnête, ou du moins faire croire au plus grand nombre à la réalité de sa conversion.

Avant que nous le mettions en scène, nos lecteurs ne seront sans doute pas fâchés de faire ample connaissance avec ce personnage qui se trouvera souvent mêlé aux nombreux incidents de ce récit.

Lors de sa sortie de la police, l’ancien chef de la brigade de Sûreté avait fait plusieurs métiers.

Ces métiers ne lui avaient que médiocrement réussi.

Ses antécédents, sa réputation de finesse, sa célébrité même nuisaient aux rapports commerciaux qu’il voulait entamer avec diverses maisons de France et d’Angleterre.

Les commerçants apprécient la finesse, vue prise d’eux-mêmes ; ils la craignent et la méprisent chez les autres.

Aussi lui fut-il impossible de prospérer dans ce qu’on appelle vulgairement les affaires.

D’ailleurs, pour M. Jules, la police était devenue un besoin impérieux. Ne pouvant plus en faire pour le compte de l’État, qui venait de le remercier, il résolut d’en faire pour son compte personnel, et au profit des particuliers qui viendraient lui confier leurs intérêts.

Il fonda donc une agence de renseignements, rue Vivienne.

Quand on demandait M. Jules, on le trouvait installé dans de magnifiques bureaux, tout aussi bien organisés que ceux de la préfecture de police.

Du reste, son agence avait tout l’air d’en être la succursale.

Cette agence, qui prospérait trop, ne prospéra pas longtemps.

L’autorité prit l’éveil.

L’agence fut fermée.

Les scellés posés sur les papiers, on arrêta le directeur, qui, après quel-