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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/230

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ce poison qu’on n’a jamais retrouvé depuis les Borgia. Il tue comme la foudre, ou mine, détruit, annihile peu à peu, au bout de quelques jours, de quelques semaines, de six mois ou d’un an, d’après la force et le volume des doses données à la victime.

— Et ce poison ? demanda Noël tremblant d’horreur.

— C’est le leche de palo.

— Oh ! monsieur le comte, que dites-vous ?

— La vérité, capitaine.

— C’est impossible !

— Voyez si Mme la comtesse de Casa-Real se donne la peine de prétendre que je me trompe.

La créole ressemblait à la statue du péché, du crime dévoré par le remords, poursuivi par l’épée flamboyante de l’ange exterminateur.

— Voyez ce flacon… et demandez-lui en possession de qui il se trouvait.

Noël interrogea la comtesse du regard.

Elle ne lui répondit rien.

— Par mon salut éternel, ajouta solennellement l’hôte de Noël, Mme la comtesse de Casa-Real est une empoisonneuse !

Hermosa ne se défendit pas.

Alors son mari, tendant à Noël pétrifié d’horreur une enveloppe en forme de testament, lui dit :

— Son silence est-il un aveu ?

Noël baissa silencieusement la tête en signe d’affirmation.

— Moi mort, jurez-vous d’obéir à ma dernière volonté ?

Et comme son hôte hésitait, le comte de Casa-Real continua :

— Ne craignez rien… Je suis gentilhomme et je ne vous demanderai rien d’indigne d’un galant homme. Jurez-vous, capitaine ?

— Je le jure !

— Merci. Prenez ce testament. Lisez-le ; lisez-le tout haut. Il faut que cette femme, à laquelle je fais grâce de sa méprisable vie, le connaisse depuis le premier jusqu’au dernier mot. C’est une arme terrible, mortelle, que je remets entre les mains d’un homme que j’estime ; une arme qui la met tout entière à votre merci.

La statue eut un tressaillement involontaire.

— Lisez ! répéta le comte.

Noël déplia le papier et lut ce qui suit :


« Moi, Fernando-Iriarte de Carvajal y Gusman, comte de Tordesillas y Casa-Real, prêt à paraître devant Dieu, déclare ceci sur l’honneur de mon nom et sur ma foi de gentilhomme :

« Je meurs empoisonné par ma femme doña Maria-Dolorès Hermosa de Casa-Real, qui, de sa propre main, à plusieurs reprises, m’a versé et fait prendre du leche de palo.

« Doña Hermosa de Casa-Real a commis ce crime dans le double but d’hériter de ma fortune et de reconquérir sa liberté.

« Ne voulant porter atteinte à l’honneur du nom des Casa-Real qu’à la