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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/285

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Quelle signification mystérieuse pouvaient avoir ces paroles, que le vieillard répétait de loin en loin sans en omettre une seule ?

Nul ne la devinait.

Et pourtant elles en avaient sans doute une bien touchante pour lui, car toutes les fois que le dernier vers de son couplet expirait entre ses lèvres tremblantes d’émotion, ses dernières notes prenaient les proportions d’un sanglot et ses yeux se remplissaient de larmes.


II

DEUX PROFILS DE GRISETTES.

Le dimanche gras, vers six heures et demie du matin, le concierge de la maison portant le numéro 35, dans la rue d’Astorg, se tenait, les bras croisés, fumant son éternelle pipe noire, devant sa porte cochère.

Un fiacre tourna la rue de la Pépinière.

Il entra dans la rue d’Astorg et vint s’arrêter juste à deux pas de notre fumeur matinal.

Le cocher descendit de son siège et ouvrit la portière.

Trois personnes sortirent du fiacre, une femme et deux hommes.

Ces trois personnes portaient des déguisements sous leurs paletots.

La femme était le débardeur qu’on appelait la Pomme, dans un des cabinets de la rôtisseuse Basset.

Les hommes, Arthur Blancas et Adolphe Rével, déguisés en Chicard et en Malin, étaient les deux étudiants du cinquième étage.

Ils avaient supporté gaillardement, tous trois, les fatigues et les plaisirs de la nuit.

Leur jeunesse leur servait d’égide contre ce premier jour si funeste aux noctambules des deux sexes.

Seul, le jeune Arthur titubait sur ses jambes ; mais, tout titubant qu’il fût son visage frais et rond n’avait jamais pu prétendre à la blancheur poétique du lis ou de la poudre de riz.

Quant à ses compagnons de peine, ils avaient aussi bien l’air de partir pour le bal que d’en revenir.

— Allons, beau troubadour, dit Adolphe en riant, une dernière fois la main à la poche et payez ce brave homme qui ne demande pas mieux que de s’aller coucher.

— Encore ! grommela le jeune homme.

— Comment ! encore ? fit le cocher.

— Je vous ai déjà payé plus de dix fois cette nuit.

— Plaît-il, bourgeois ? Vous m’avez payé, moi ?

— Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.

— Je n’en ai pas.