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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/489

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jusque-là, pour reculer au dernier moment ? Pourtant il était bien sûr de ce qu’il avait vu. Jamais ses yeux ne l’avaient trompé.

Mais l’aisance du médecin, la bonne foi qui se manifestait dans chacune de ses paroles le confondaient.

Il en vint à s’inquiéter du dénouement de cette singulière aventure.

M. Jules n’aimait, n’appréciait et ne comprenait que les coups de théâtre préparés par lui-même.

Mais dans cette affaire il sentait le beau rôle lui échapper.

Il avait débuté par avoir peur d’une révélation, dangereuse pour lui, seul motif qui l’eût déterminé à accepter un rendez-vous dans cette étrange demeure.

Et qui lui avait inculqué le désir ardent de venir à ce rendez-vous ? Un homme qui lui était totalement inconnu à lui, l’ex-chef de la police de Sûreté, tandis que lui, M. Jules, il était parfaitement connu de cet homme.

Cependant il recueillit toutes ses forces.

Il comprit que la plus légère hésitation le rendrait ridicule, et faisant de nécessité vertu, il se décida à pousser l’aventure jusqu’au bout.

Reculer n’était plus possible.

En apparence, il demeura donc ferme, impassible, résolu.

Le docteur venait d’ouvrir la seconde porte avec toutes sortes de précautions.

Tous deux pénétrèrent dans une chambre faiblement éclairée par une lampe-veilleuse à verre dépoli.

Un tapis épais assourdissait les pas.

De lourdes tentures-portières et de vastes rideaux interceptaient tout courant d’air.

La chaleur de cette chambre était suffocante.

Elle exhalait une senteur de pharmacie, particulière aux chambres de malade.

Une sœur grise se tenait assise à la tête du lit, dont les rideaux étaient presque fermés. Elle priait.

Elle ne s’aperçut sans doute pas de l’entrée des deux hommes ; elle demeura la tête penchée sur sa poitrine, le visage enfoui dans ses coiffes, achevant ses prières, ainsi que le laissait deviner le mouvement continu de son chapelet, dont les grains en bois de cèdre glissaient rapidement entre ses doigts.

Le docteur et l’agent de police s’arrêtèrent au milieu de la chambre.

— La mise en scène est bonne, marmotta celui-ci, rien n’y manque ! Tout est vrai… Il faudra voir seulement quel est le pantin qui s’est permis de se mettre dans la peau du bonhomme.

Comme si le médecin eût deviné les pensées secrètes de l’homme de la police, il se pencha de son côté et lui dit tout bas :

— Ne voulez-vous pas le voir ?

L’autre le regarda avec effarement.

— Voulez-vous, oui ou non ?

— Oui, répondit M. Jules, en laissant échapper un son étranglé de son gosier.