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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/52

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— Oh ! moi, moi ! je suis une vieille perruque dont tout le savoir consiste à s’apercevoir qu’elle ne sait rien. La jeunesse ! la jeunesse ! voilà le véritable médecin.

L’inconnu se pencha vers son ami.

— Est-il temps, mon cher docteur ? murmura-t-il à son oreille.

— Oui, si le cœur vous en dit.

S’approchant alors de la jeune femme :

— Puisque, de l’aveu de notre ami, vous pouvez me donner quelques minutes d’attention, lui dit-il d’une voix douce et sympathique, sans vous trop fatiguer, Lucile Gauthier, consentez-vous à m’écouter ?

— Vous savez mon nom ! s’écria la jeune femme stupéfaite.

— Ne vous étonnez pas encore ! répondit-il.

— Je vous écoute, murmura Lucile en jetant sur lui un regard empreint de surprise et de crainte.

Le docteur, après avoir examiné si le petit Georges dormait d’un sommeil tranquille, s’installa dans un fauteuil et se disposa à en faire autant, non sans avoir dit tout bas à son ami :

— Ne frappez pas trop fort. Préparez-la, ménagez-la.

Cette dernière recommandation faite, il ferma les yeux en murmurant à part lui :

— Allez, allez, mes enfants, je sais à un mot près tout ce que vous allez vous communiquer l’un à l’autre ; je reste parce que vous pourrez avoir besoin de moi, mais, pour Dieu, tâchez de ne nous réveiller, ni l’enfant ni moi.

Quelques instants après, il dormait du sommeil de l’innocence.

Deux heures après minuit sonnaient.

Les chants avaient cessé dans les cabinets environnants, dont les bruyants locataires s’étaient éloignés sur les instances du maître de l’établissement.

Un silence profond régnait dans la rue des Saints-Pères et sur le quai Malaquais, silence que seul le roulement sourd et lointain d’une voiture venait interrompre par intervalles.

L’inconnu quitta son siège et vint s’asseoir près de la jeune femme.

Il prit une de ses mains dans les siennes.

— Je vous fais peur encore ? fit-il en sentant cette main frissonner.

— Non, répliqua Lucile. Je n’ai plus peur de vous… C’est malgré moi que je tremble… je ne sais pas pourquoi.

Elle faisait un visible effort pour dissimuler la sensation pénible que les mains du jeune homme lui causaient.

Celui-ci s’en aperçut. Il abandonna sa main et recula sa chaise.

— Avant tout, il est de mon devoir de vous rassurer entièrement sur votre avenir à tous deux, reprit-il en désignant l’enfant endormi. Cette crainte chassée de votre esprit, votre attention me sera acquise. J’ai meublé et loué en votre nom un appartement convenable, mais modeste, au troisième étage d’une maison située rue d’Astorg !

— Rue d’Astorg ! grand Dieu !

— Numéro 35.

— C’est là que… Mais mon Dieu ! mon Dieu ! comment pouvez-vous savoir ?…