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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/553

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Personne ne répondit.

Il continua :

— Passe-Partout ?

Même silence.

— Ah ! j’ai l’air de parler chinois, dit sourdement le paillasse en consultant le domino vénitien, que faut-il faire ?

— Carte blanche ! répliqua le domino vénitien de façon à n’être entendu que de lui.

Le paillasse se dirigea alors avec lenteur vers le débardeur noir, et lui parlant bien en face, les yeux dans les yeux, sans plus se donner la peine de déguiser sa voix :

— Mon cher capitaine, mon bon Passe-Partout, mon excellent ami Rifflard, nous renions donc le soir nos connaissances du matin ?

— Ah ! ah ! c’est vous, digne monsieur Jules ? riposta le masque interpellé.

— Moi-même, pour vous servir.

— Trop aimable…, mais je ne vous offrirais jamais des gages à la taille de votre mérite.

— C’est ce qui vous trompe.

— Vous êtes modeste.

— Mais oui.

— Une preuve de modestie ? fit le débardeur noir avec un sourire narquois.

— Vous la voulez ?

— Je ne vous cacherai pas que mon étonnement égalera tout au moins vôtre humilité.

— Libre à vous, mon bon.

— Voyons cette preuve ?

— La preuve que je ne demande pas mieux que de vous servir.

— Eh bien ?

— C’est que vous êtes servi.

À l’époque où M. Jules faisait partie de la police de sûreté, la locution : Vous êtes ou tu es servi ! avait fini par devenir proverbiale.

Il l’employait pour ordonner à ses hommes, à ses agents, à quel moment il leur fallait saisir leur victime ou se jeter sur leur proie.

Le débardeur connaissait, sans aucun doute, de longue date cette formule menaçante, car, en l’entendant sortir de la bouche du paillasse, il se recula vivement, comme pour se mettre sur la défensive.

Mais quelle que fût la rapidité de son mouvement de retraite, elle n’égala pas la vitesse et le zèle avec lesquels Coquillard-Charbonneau s’approcha de lui.

En moins d’une seconde, la main de l’agent de M. Jules se posa rudement sur l’épaule du prétendu Passe-Partout.

En moins d’une seconde aussi, le poing de celui-ci s’abattit avec une telle force sur le crâne de Coquillard, que le misérable tomba comme une masse sur le sol sans jeter un cri, sans même pousser un soupir.