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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/56

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belle. J’étais sans défiance. Et puis, je pensais bien à cela ! J’avais le cœur plein d’amour pour… pour quelqu’un…

— Continuez.

Lucile s’essuya les yeux et continua :

— Il me dit : « Vous êtes seule, mon enfant ? — Oui, monsieur. Mon père est en mer. Il ne reviendra pas avant une heure. » Je n’avais pas achevé que le misérable se jetait sur moi ; un coup violent que je reçus à la tête me renversa… Quand je revins à moi, j’étais perdue, déshonorée. Un an après j’étais mère ; l’on me chassait du pays… l’homme que j’aimais s’éloignait, s’engageait, se faisait tuer en me maudissant… et l’homme qui m’avait réduite au dernier degré de désespoir et de misère ne m’a jamais donné aucun signe d’existence ! Si j’étais seule, je le laisserais dans sa honte et dans ses remords ; mais j’ai Georges, j’ai mon fils ! je ne veux pas que mon fils ne puisse pas nommer son père.

Elle se cacha la tête dans ses mains pour voiler sa rougeur et sa honte.

— Georges portera le nom de son père, je vous le jure. Mais prenez-y garde, ce nom appartient à un homme riche, puissant. La moindre imprudence, et nous échouerons.

Nous !… Vous vous associez à moi… vous ? dit-elle avec stupeur.

— Je vous amènerai le coupable… Il se traînera à vos pieds… Il implorera votre pardon.

— Lui !

— Il confessera sa faute, et sa faute confessée, il la réparera aux yeux du monde.

— Vous ferez cela ? dit Lucile, qui croyait rêver.

— Je le ferai, répliqua-t-il simplement. Seulement, laissez-vous guider par moi. Unissez votre volonté à tous mes efforts.

— Oh ! soyez tranquille !… Il s’agit de mon enfant, de son avenir, de sa vie, je ne serai ni imprévoyante ni imprudente.

— Bien. Nous réussirons.

— Mais, fit Lucile, qui depuis quelques moments réunissait tous ses esprits pour résister à cette suite de chocs imprévus, vous qui venez m’offrir la réalisation de mon désir le plus secret, vous qui me criez : il faut vivre ! en me donnant la seule bonne raison qui puisse me forcer à vivre, qui êtes-vous ?

L’inconnu garda le silence.

— Vous hésitez ? ajouta Lucile ; ne voulez-vous pas que je mêle votre nom à mes prières ?… Vous hésitez ! Et à son tour elle fit un effort, se pencha vers lui, saisit sa main, et l’approchant de ses lèvres :

« Oh ! parlez, parlez !…

— Si j’hésite, Lucile, c’est que j’ai peur…

— Peur ?… Je ne comprends pas.

— Oui, j’ai peur pour vous d’une trop forte commotion.

— Oh ! je me sens forte.

— Car ce nom n’est pas nouveau pour vos oreilles… Il vous a été, il vous est peut-être encore bien cher !