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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/57

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— Un nom bien cher !… Il n’en est qu’un seul…

— Je tremble de réveiller des souvenirs cruels ; je n’ose pas fouiller une cendre encore brûlante.

— Ne craignez rien…

— La plaie de votre cœur est toujours saignante.

— Parlez, au nom du Ciel !

— Eh ! sacrebleu ! oui, parlez ! fit une voix derrière l’inconnu.

C’était celle du docteur, que les éclats de l’émotion de Lucile venaient de réveiller.

— Ne voyez-vous pas, ajouta-t-il, que vous risquez de lui faire cent fois plus de mal en vous taisant qu’en lui apprenant tout ? Que diantre ! on ne met pas la coupe aux lèvres des gens pour la leur retirer de la sorte !

— Vous le voulez, docteur ?

— S’il le faut, je l’ordonne !

— J’attends, dit Lucile, qui respirait à peine.

— Eh bien ! que votre volonté soit faite, Martel ! je vous obéis. Lucile, je suis le frère de l’homme que vous aimez… que vous avez tant aimé, fit-il en se reprenant, je suis Martial Renaud.

— Martial Renaud ! vous !… le frère de Noël !…

Il y eut un moment d’angoisse.

Le docteur Martel s’avança vers Lucile, la prit par les épaules et, la poussant presque de force vers Martial Renaud qui se tenait immobile et les bras tendus vers elle :

— Allons ! voyons ! embrassez-le donc. Vous voyez bien qu’il ne demande que cela.

La glace était rompue.

Pendant que Lucile sanglotait entre les bras de Martial, qui la soutenait et l’embrassait comme un frère aîné soutient et embrasse sa jeune sœur, le médecin s’approcha de l’enfant, l’enleva aussi légèrement qu’il eût fait d’une plume, et le plaçant au milieu du groupe formé par eux deux :

— Fais ta partie dans ce concert, crapaud ! lui dit-il.

Crapaud n’était peut-être pas de circonstance ; mais le bon praticien, aussi ému que sa malade, ne savait plus trop ni ce qu’il disait ni ce qu’il faisait.

Un quart d’heure après, Lucile et le petit Georges, sous la garde du docteur Martel, roulaient en fiacre vers la rue d’Astorg, et Martial Renaud restait seul dans le cabinet où cette reconnaissance venait de s’opérer.

Alors Martial dérangea un large buffet qui cachait une porte dérobée, et tirant à lui le buffet il ouvrit en même temps la porte, qui donnait dans une chambre pouvant passer pour un cabinet de toilette et pour un porte-manteau.

Des vêtements étaient préparés sur un canapé.

Des bougies brûlaient dans les candélabres.

Sans perdre de temps, Martial fit une toilette de bal.

Une fois habillé, il jeta un dernier regard sur la glace, prit ses gants, son chapeau et souffla toutes les bougies.

— La nuit a commencé, murmura-t-il ; comment finira-t-elle ?