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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/676

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— L’un d’eux, celui qui paraissait leur chef, encourageait les autres et répétait avec un accent qui m’a jeté la terreur dans l’âme : Nous les tenons ! nous les tenons enfin !

— Son nom, l’a-t-on prononcé, par hasard ?

— J’ai cru l’entendre plusieurs fois appeler M. Jules.

— Lui ! fit Passe-Partout avec un mouvement terrible. Par le Dieu vivant, ce sera la dernière fois qu’il se dressera sur ma route !

— Ne les attendez pas, ils sont dix fois plus nombreux que vous !

— Eh ! qu’importe !

— Noël, partout ce que vous avez de plus cher, de plus sacré dans ce monde, je vous adjure de vous hâter de rappeler vos amis.

— Ils sont loin déjà ! Je cours les rejoindre.

— Au nom de mon aïeul, au nom de mon père ! s’écria la jeune fille suppliante et lui saisissant les mains dans une étreinte passionnée.

— Edmée, laissez-moi courir où le devoir et l’honneur m’appellent, répondit le comte de Warrens se raidissant contre la puissance de ces accents qui lui étaient si chers.

— Au nom de notre amitié !

— Impossible !

— De notre amour, ajouta la fille du duc de Dinan en se cachant le visage dans la poitrine de Passe-Partout, qu’elle sentait sur le point de lui échapper.

— Edmée, vous me rendriez lâche et traître.

La jeune fille sanglotait nerveusement.

— C’est au nom de votre noble père, continua-t-il, au nom de ce même amour qui est tout mon espoir, que je vous conjure de me rendre la liberté.

— Non, non ! répondait-elle d’une voix entrecoupée, je le sens… si vous me quittez, vous vous perdez. Noël, vous le voyez, je pleure, je tremble… n’aurez-vous pas pitié de ma douleur et de mon effroi ?

Le comte se dégagea par un effort suprême.

— C’est pour moi que vous pleurez, que vous tremblez, Edmée…, pour moi, qui suis un homme et qui dois vous défendre et vous protéger… Voyez quel rôle vous me feriez jouer si je consentais à vous obéir !

Edmée ne l’écoutait pas. Elle fondait en larmes, et ses larmes étaient sa plus grande force, son langage le plus éloquent.

Passe-Partout sentit que, s’il les écoutait, il était vaincu.

Il s’arracha de ses bras et fit quelques pas pour rejoindre les Invisibles.

Edmée tomba à genoux.

Une inspiration lui traversa l’esprit.

Elle cessa de pleurer et s’écria :

— Noël, vous me laissez seule !… Je n’ai plus de forces et j’ai peur.

Il s’arrêta.

Un nuage passa sur ses yeux.

À la pensée que la jeune fille pouvait tomber aux mains des grossiers acolytes de M. Jules, ou des séides de la comtesse de Casa-Real, il frissonna, et, s’élançant jusqu’à elle, il la prit dans ses bras, et lui dit :

— Vous me faites manquer à tout ce que je me dois, à tout ce que je dois