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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/101

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À LA GUERRE L’HOMME EST OUBLIÉ

dain trop près ; ils se voyaient hommes ; et il y eut un moment d’embarras. Alors l’officier prit le parti de tuer un des fantassins, et fut aussitôt tué lui-même. Cette tragédie courte est belle à comprendre. L’officier vit son métier impossible, et lui-même ridicule. Son geste, à ce que je crois, eut pour fin de punir un mauvais soldat qui oubliait les règlements militaires.

On voyait quelquefois, dans les lunettes de l’artillerie, les guetteurs de l’infanterie s’asseoir sur les parapets et engager conversation d’une tranchée à l’autre. L’ordre était de commencer aussitôt le bombardement. Ce tir était contre la paix, bien plutôt que contre l’ennemi. C’est pourquoi Richelieu avait encore plus de raisons qu’il ne croyait de faire graver sur les canons en latin, la formule célèbre : « Suprême argument des rois. »

Quand la Bertha lança sur Paris ses premiers obus, parLA MAJESTÉ
DES ARTILLEURS.

Quand la Bertha lança sur Paris ses premiers obus, par dessus cent vingt kilomètres de pays, nos maîtres en artillerie commencèrent par rejeter dédaigneusement cette folle supposition qu’il existait une pièce de cette puissance, et qu’un obus sorti d’une bouche à feu pût développer une telle trajectoire. Il ne faut pas oublier que notre artilleur tirait péniblement à dix-sept kilomètres, et trouvait même cela très beau. Ce n’était pourtant pas une raison de nier avant même d’avoir examiné. Les canons de Waterloo tiraient peut-être à mille mètres. La trajectoire s’était allongée depuis, par une meilleure poudre, par la culasse mobile, par les rayures, par la ceinture du projectile ;

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