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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/100

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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

bares, est sans doute l’effet de la guerre à longue portée ; car chacun ne voit que la poignée de sa trop longue épée, alors qu’il reçoit la pointe de l’autre dans le ventre. Ainsi chacun voit sa propre action comme sublime, et l’action de l’autre comme criminelle. Plus humains, sans aucun doute, si nous pouvions voir d’un seul regard toutes les parties de l’épée.

Beaucoup ont pu constater, et même de trop près, les effrayants effets des obus incendiaires, surtout en 1914, alors que les villages offraient encore quelque chose à brûler. Au troisième coup, tout flambait comme un bol de punch. Il arriva en ce temps, à nos batteries, des obus du même genre, dont on disait merveilles. Imaginez un observateur qui a mission de signaler les premières flammes et qui ne voit rien. Le téléphone lui apporte des qualificatifs peu agréables à entendre. La scène est de haute comédie, et de loin fait rire. Mais, sur le moment même, ses yeux cherchent, désirent, appellent cette flamme qui le délivrera de passer pour ignorant et sot. Avec quelle joie il verra le village s’allumer au loin comme une torche. Et comment voulez-vous qu’il pense aux blessés qui seront brûlés tout vivants ?

Il est facile de tirer un coup de fusil ; il n’y faut qu’un peut mouvement du doigt ; et l’homme n’est plus qu’une cible dans le cran de mire. Je crois que, si la guerre devait commencer par le couteau, les politiques n’y trouveraient pas leur compte. J’ai lu dans les journaux, aux premiers jours de la guerre, un récit qui ne me paraît pas entièrement inventé. Quelques cavaliers ennemis, conduits par un officier, se trouvent, dans une rue de village, en présence de

deux ou trois fantassins en patrouille. Ils étaient sou-

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