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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/109

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À LA GUERRE L’HOMME EST OUBLIÉ

et des petits gradés, en entend bien d’autres et en dit bien d’autres.

Or, après la double désertion, deux camarades des transfuges dirent qu’on pouvait bien s’y attendre, et cet imprudent propos franchit le cercle des hommes boueux et parvint jusqu’aux guerriers propres dont la mission est de faire avancer les autres. Les deux bavards sont discrètement ramenés dans la zone des états-majors, et l’on arrive, de piège en piège, à leur faire dire qu’ils soupçonnaient les déserteurs, qu’ils avaient entendu d’eux des paroles assez claires ; qu’ils avaient pu se faire quelque idée de leur projet et même des détails de l’exécution, mais qu’ils n’y croyaient point trop, et qu’au surplus ce n’était pas leur affaire, à eux simples troupiers, d’espionner leurs camarades et encore moins de les dénoncer. Telle est la morale du troupier. Quand ils eurent ainsi, de parole en parole, et l’un disant ce que l’autre cachait, découvert à peu près leur vraie pensée, formée par vingt batailles à tout attendre et à ne juger personne, alors la doctrine de Guerre se découvrit à leurs yeux épouvantés. Qui ne s’oppose pas, par tous les moyens, dénonciation, surveillance, action de force, à l’exécution d’un acte qualifié crime, est lui-même criminel. Ils furent condamnés et fusillés. Ces croix fleuries, que nous avions vues, marquaient leurs tombes.

Chacun connaît sommairement, d’après une séance récente de la Chambre, l’exécution de deux lieutenants devant Verdun. Je me souviens d’avoir entendu deux lieutenants, c’était devant Toul, qui s’en allaient rendre compte à l’État-Major d’une attaque manquée. Ils décrivaient la boue gluante et profonde, les fusils

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