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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/126

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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

que poste actif, avant que vous ayez achevé la phrase introductive de vos recommandations, il aurait déjà fait son trou dans la chose sans seulement vous écouter.

Au métier de chimiste, l’esprit n’apprend point les égards, ni aucune prudence. Mais semblable au chirurgien qui est attiré par l’action immédiatement utile et avance son bistouri par où il voit passage, toujours regardant, nullement écoutant, ce genre d’homme, dès qu’un problème lui vient sous les yeux, aussitôt l’attaque et le change, et déjà se trouve en train d’agir quand on lui demande d’examiner. Ce qui mille fois échappe aux critiques, parce que les précautions de l’homme irrésolu n’ont plus de lieu ni aucune apparence dès que l’action a changé les perspectives. Et c’est en avançant que l’alpiniste trouve un appui pour son pied. De même l’homme d’entreprise ne pense point au risque, mais réduit le risque par une continuelle action. Liberté en acte. Modificateur essentiellement, et briseur de fatalité, comme ces acides et bases qui donnent puissance et science en même temps ; comme cette chimie qui ne sait point connaître sans modifier. Homme solitaire. Homme secret. Dès que deux hommes délibèrent, l’occasion échappe.

Je ne crains nullement un tel homme, et je lui permettrais beaucoup. L’erreur de celui qui pousse l’outil est sentie par l’outil et promptement réparée. Mais rien n’égale l’erreur coûteuse de celui qui craint de se tromper, qui prend toujours conseil et ne décide jamais. Pur discoureur celui-là, et qui s’arrête toujours à décrire l’ordre des forces ennemies ; qui, par la manie de tout prévoir, se limite à annoncer le pire,

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