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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/136

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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

Le général inspecteur fit voir un visage mécontent. Quand il tint le professeur loin des regards : « Mon cher, lui dit-il, vous insistez trop sur ceci que nous sommes de vieilles bêtes, à qui il faut pourtant obéir. Et cela va directement contre votre conclusion. Car, s’il est mieux de croire que le commandement ne se trompe pas, pourquoi supposez-vous vous-même qu’il se trompe ? » « Mais, dit l’autre, justement j’explique pourquoi il ne faut point dire qu’il se trompe, ni même se le dire. » « Pourquoi donc, dit le général inspecteur, pourquoi dire qu’il ne faut pas dire ? C’est réveiller le diable. Dites donc plutôt ce qu’il faut dire. Pratiquez vous-même votre morale, et prouvez, par l’histoire des guerres, que notre État-Major a toujours raison. Et ne dites pas que cela n’est pas facile à prouver ; car cette idée même est nuisible, étant directement contraire à l’esprit d’exécution. » C’est ainsi que le cours de morale fut remplacé par un cours de stratégie, et que le lieutenant-colonel Subtil fut renvoyé aux forges et arsenaux. Le R. P. Philéas, qui connut l’incident, dit seulement ceci : « Subtil, encore un Janséniste. L’armée en est pourrie. »

Le prolétaire ne comprend pas aisément ce que c’est qu’un bourgeois.PROLÉTAIRE
ET BOURGEOIS.

Le prolétaire ne comprend pas aisément ce que c’est qu’un bourgeois. Marx a dit que les idées d’un homme dépendent toutes et sans exception de la manière dont il gagne sa vie. Mais ce fort préjugé, qui donne lieu à de riches développements, doit être manœuvré avec précautions ; car il est vrai en plusieurs sens. Je comprends assez bien ce que c’est qu’une pensée qui

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