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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/135

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NÉGLIGENTS ET IMPORTANTS

Or, dans toute action militaire, vous êtes engagés ; vous devez de toute façon obéir ; là-dessus il n’y a point doute. À défaut de l’honneur une contrainte irrésistible agirait. En bonne logique devez-vous penser que vous ne réussirez pas, que l’ennemi est trop bien retranché, que le haut commandement a donné l’ordre sans bien savoir ? Ce serait perdre votre chance et en quelque sorte vous dépouiller de votre armure. Mais, au contraire, à tous vos moyens offensifs joignez encore l’idée active, l’idée efficace, l’idée qui vous soulève, l’idée qui vous rend plus vif, plus fort, plus assuré de vos actions, c’est à savoir l’idée que l’ennemi ne peut tenir, qu’on le prend sur son faible, qu’il est sur le moment de perdre courage, et qu’enfin jamais un ordre ne fut plus à propos, mieux inspiré par le génie offensif, que celui auquel vous devez obéir. Croire que le commandement sait tout, croire qu’il ne se trompe en rien, croire en lui comme on croit en Dieu, voilà une de vos armes, et peut-être la meilleure. Vous n’allez pas la jeter avant le combat. Bref, prenez comme idée vraie l’idée utile. Or l’idée utile c’est celle-ci : « Je passerai. » Plus profondément, Messieurs, il n’est point question de savoir encore si cette idée : « Je passerai » est vraie ou fausse ; car elle est au futur ; elle n’est encore ni vraie ni fausse ; et on vous demande non pas de penser qu’elle est vraie, mais de faire qu’elle soit vraie. Que votre esprit soit donc l’éclaireur de votre action ; qu’il aille devant vous saisir par la pensée cette position ; qu’il coure, qu’il occupe, et qu’il vous attende. Tel est le véritable esprit d’obéissance, ou d’exécution, qui ne se distingue point de l’esprit offensif. »

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