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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

même et pour son bien, se fait voir en clair ces temps-ci. Il se peut que le public préfère le scrutin uni-nominal, et c’est ce que je crois pour ma part ; mais le Grand Chef de Bureau ne veut rien entendre. Pourquoi ? Parce qu’il n’est pas de cet avis. Parce que l’administration consultée n’est pas de cet avis. Et il est vrai que l’administration n’est pas de cet avis. Qu’est-ce que le député d’arrondissement, sinon un citoyen qui fait du bruit devant le guichet ? Mais qu’est-ce au contraire qu’un chef de liste ? C’est un homme qui voudrait bien être aussi derrière un guichet, et qui comprend les choses. Préfet contre préfet, système contre système ; les principes sont saufs.

On conte que Louvois inventait des expéditions et des guerres. Mais sans doute n’en pensait-il point si long. L’administration ne forme point tant d’idées, ce n’est pas son affaire ; seulement elle s’étend, elle occupe le terrain qu’on lui laisse ; elle produit les fruits qui lui sont propres, comme un arbre, sans demander si on en a besoin. L’administration de la guerre ne veut point la guerre ; mais elle se veut elle-même. Il y a une apparence de raison lorsqu’on demande à un conseil de généraux s’il faut trois ans de service ou deux. Mais ce n’est qu’apparence. Un maréchal de camp disait à son fils, qui pressait les travaux d’un siège : « Mon fils, vous êtes bien pressé d’aller planter vos choux. » Supposez que j’aie un beau projet pour finir les guerres. Selon la sagesse administrative, je devrai le soumettre à un Grand Conseil de Guerre.

L’intérêt d’une carrière ou d’un métier agira seul ici, et suffira bien. Mais les hommes sont ainsi faits qu’ils ne pensent pas seulement à leur intérêt, mais

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