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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/150

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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

connaît la risée, le courant et les mauvais passages. Il faut donc conclure, comme je l’avais déjà supposé, que l’opinion chez nous s’est délivrée en silence, comme un prisonnier qui défait un nœud après l’autre, sans faire de mouvements inutiles, et qui, tous les liens rompus, se montre encore lié par précaution.

Occasion d’observer ou de deviner comment l’opinion agit sur les pouvoirs. Car cette Chambre promettait d’abord une sorte de dictature ; l’esprit de guerre réglait encore la paix. Dans le fait tout ce qui montrait quelques restes de fanatisme fut écarté des affaires. Les hommes d’Académie n’ont pas encore compris ce prompt revirement ; cette guerre, croyaient-ils, avait fait miracle ; le vieil esprit radical était mort ; les plus illustres radicaux menaient les funérailles. Mais non. La guerre tue, mutile, ruine ; c’est tout ce qu’elle peut faire. Elle ne change point l’esprit ; elle ne le touche point ; elle y est tellement étrangère ; elle est tellement extérieure et sans pensée aucune ; beaucoup ont craint des opinions extrêmes, ou bien les ont espérées ; mais je ne crois point à un changement réel de ce côté-là, ni de l’autre. Si vous en doutez, lisez le débat concernant l’expédition de Syrie ; vous y entendrez les mêmes fanatiques ; ils invectivent comme au temps de l’affaire Dreyfus, et presque dans les mêmes termes ; ils sont peu nombreux, et ne trouvent point d’écho.

J’ai toujours craint le scrutin de liste et la Représentation Proportionnelle ; j’y apercevais une mystification politique. Les pouvoirs une fois assurés par un compte exact des suffrages, l’élite devait poursuivre sur les élus son travail de séduction et d’en-

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