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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/152

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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

vous trouviez celle qui est vraie, car il n’y en a point qui soit vraie. Nul n’a eu, nul n’aura jamais une idée vraie ; mais il y a une manière vraie d’avoir n’importe quelle idée ; et c’est de voir les choses au travers. Nos idées sont nos lunettes. Il est bon d’avoir quelque lunette pour considérer l’apparence de la planète Mars ; mais garder la sagesse dans vos jugements sur la planète Mars, cela ne dépend point de votre lunette. Donc lorsque vous dites : « Je suis socialiste, communiste, ou catholique, ou monarchiste », ne ressemblez pas à l’apprenti de botanique qui se dirait : « J’ai acheté un microscope ; me voilà bien savant. »

Si ce que j’écris vous étonne, retournons-le. Examinons par le contraire, comme Aristote aimait à faire. Certainement il y a une sotte manière d’être socialiste ou monarchiste ou n’importe quoi ; il suffit que l’on croie plutôt ce que disent les autres que ce que l’on aperçoit par ses propres moyens, il suffit que la colère pousse les jugements, ou que la peur les retienne. Et le pire de tout, c’est de se priver d’examiner par peur de changer. Jurez d’abord ; il n’y a point d’esprit ferme sans serment. Jurez d’abord, et puis examinez. Comme un compte, que vous pouvez faire, dans le système décimal, ou dans un système dont la base est douze ; mais vous jurez, cela va sans dire, de ne pas changer de système pendant votre compte. L’exemple est simple ; mais il faut d’abord réfléchir sur des exemples simples. Le système décimal est-il vrai ou faux ? Voilà une question ridicule ; car ce n’est qu’un moyen de saisir les quantités dénombrables. Et l’on rirait du physicien qui rapporterait quelque expérience d’après

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