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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/164

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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

que l’individu reste individu partout, soit au premier rang, soit au dernier. Il n’y a que l’individu qui pense ; toute assemblée est sotte.

Il faudrait donc, d’un côté, un pouvoir concentré et fort, un homme qui ait du champ et qui puisse réaliser quelque chose, sans avoir égard à ces objections préalables qui empêchent tout. En même temps, et corrélativement, des spectateurs qui gardent leur poste de spectateurs, sans aucun projet, sans aucun désir d’occuper la scène, car le jugement veut du champ aussi. Et que chaque spectateur soit autant qu’il se peut solitaire, et ne se préoccupe point d’abord d’accorder sa pensée à celle du voisin. Condition que la presse réalise, car l’homme qui lit est seul. Et enfin il faut que le jugement du spectateur se traduise périodiquement par l’approbation ou par le blâme, mais toujours dans le silence et la solitude autant qu’il se pourra, ce que le vote secret réalise passablement. Certes cela n’ira point sans assemblées ; mais la grande assemblée, toujours délirante un peu, nous ramènera naturellement à l’enfance ; c’est plutôt par les conversations, en de petits cercles, que l’opinion se forme et s’éclaire ; et je compterais plutôt sur l’écrit que sur la parole. En bref, il faut que la puissance des citoyens soit de jugement toujours, sans aucune prétention à gouverner. Il reste entendu que le refus de concours est le plus puissant moyen des gouvernés ; mais le refus d’approuver suffirait toujours, et déjà avant le vote explicite, si le citoyen pensait moins à choisir les chefs qu’à les juger. Pour tout dire en peu de mots, je me méfie beaucoup d’une Volonté Générale qui sortirait du peuple assemblé. Tyran métaphysique.