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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/163

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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

Effervescence ; si quelque porte se trouve ouverte pour l’action, vous verrez des miracles ; ce grand corps prendra des forces en marchant. J’ai entendu conter une révolution de femmes qui eut lieu en Auvergne pendant la guerre. La cause en était que quelque officier de gendarmerie avait exigé d’un blessé clopinant le salut réglementaire ; d’où échange de mots vifs, et punition. Mais les femmes, d’abord étonnées et muettes, car le fait militaire est par lui-même incroyable, retrouvèrent perception par le discours, et décidèrent d’appliquer une énergique sanction, qui fut annoncée par affiches : « Demain, déménagement chez l’officier de gendarmerie. » Le lendemain les meubles de l’officier passèrent par les fenêtres. Il se cachait, comme on pense bien. On décida de le faire partir ; mais les femmes le surent. Il y eut encore une affiche : « Demain, à la gare, adieux à Monsieur l’officier de gendarmerie. » Quand il fut dans le train, au milieu d’acclamations que l’on devine, il prit fantaisie aux femmes de ne point le laisser partir ; elles se couchèrent sur les rails. Le préfet s’arrachait les cheveux. Le blessé dut se montrer partout, afin de prouver qu’il n’était pas en prison. Je raconte sommairement cette belle

histoire, afin qu’il soit rappelé que les pouvoirs, même dans leurs beaux temps, ne peuvent rien contre l’opinion, ce qui est bon à savoir. Mais il est clair aussi que ces grands corps en action, qui sont capables de tout briser, manquent d’idées positives. En l’action commune les forces s’ajoutent, mais les idées se contrarient et s’annulent. Il reste des moyens de géant avec des idées d’enfant. Si nous voulons une vie publique digne de l’Humanité présente, il faut

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