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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/168

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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

cautions nouvelles et toujours inutiles ; inutiles si la force joue, car elle joue selon ses lois propres ; inutiles dès que la force ne joue plus.

Que sera pour l’Allemagne la puissance de payer dans dix ans, dans vingt ans ? Problème difficile, mais où l’on s’enfonce afin d’oublier l’autre problème : quelle sera notre puissance de nous faire payer dans dix ans, dans vingt ans ? Il est pourtant clair qu’à mesure que la première puissance augmente, la seconde diminue. Et quand la force obtiendrait maintenant des promesses, c’est toujours la force qui en réglera l’exécution. Il n’y a nul respect dû à la force ; et toute promesse imposée est nulle. Telles sont les lois de la force, et que le plus fort doit subir aussi bien que l’autre.

Ainsi le Droit se retire de ces mélanges. Et cette expérience nous enseigne à la fois la Guerre et la Paix. Frapper est une chose qui a ses règles. Convenir est une autre chose, qui a ses règles. Lorsque je prends quelque objet, je puis le conserver ; c’est un problème de force ; j’en serai par là le possesseur, mais je n’en serai pas le propriétaire. Je n’en puis avoir la propriété, qui est de droit, que par une convention librement acceptée. Je paye le prix convenu, et l’autre me donne l’objet convenu ; nous voilà tous deux contents. Mais si l’autre est forcé de

vendre, personne ne reconnaîtra le prix que j’ai payé comme un exemple du juste prix ; telle est la morale des marchands et la justice des marchands ; et ces lois du Marché, que le Prince essaie vainement de changer, résistent à la manière des lois naturelles. Il faut admirer cette ambiguïté du mot Loi, si bien saisie par Montesquieu. L’état de Paix se développe

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