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VIOLENCE INUTILE

Ici donc s’établit le droit réel. Non pas abstrait et en quelque sorte métaphysique, mais résultant de la nature même des choses, comme Montesquieu voulait. Et la loi, par rapport à ce droit-là, n’est que négative ; elle écarte les forces perturbatrices. Dès que la bonne femme est assurée de son panier, alors elle se conforme aux lois non écrites, qui ne sont nullement celles d’Antigone, mais inférieures, et fortement enracinées. Mais comme ces lois tiennent le tyran aussi, et par les pieds en quelque sorte, ce sont peut-être aussi les lois d’Antigone ; et il se peut que toute justice soit fille du panier aux œufs.


Dans une révolution, il y a naturellement beaucoup à discernerL’ESPRIT
DE RÉVOLUTION.

Dans une révolution, il y a naturellement beaucoup à discerner ; car l’idée et la violence sont ensemble ; l’idée se simplifie par la pressante nécessité, mais la violence a mille visages. J’y devine des brutes redoutables qui s’enivrent de puissance ; aussi des prêtres froids, qui sont les mathématiciens de la chose. Et ces deux forces jointes développent vraisemblablement des maux inouïs. Mais le mouvement, dans son ensemble, dépend de causes plus ordinaires, explicables par la commune nature humaine. Seulement les pouvoirs n’osent pas regarder par là. Ayant tout osé et impunément, ils se croient adorés. Il faut avoir été soi-même homme de troupe, dans les temps où l’arrogance triomphait avec éclat, pour savoir ce que c’est que l’esprit de révolte. D’un côté le ridicule s’étale, parce qu’il n’est pas permis de rire, et l’humeur insulte sans aucune mesure. Parmi les esclaves s’exerce le jugement Ésopique, qui finit par tirer au

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