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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/209

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LE RENDEMENT, NON LA PUISSANCE

un effet des machines qu’on ne peut pas ne pas voir, c’est qu’elles multiplient nos passions, et changent les querelles en des événements physiques plus redoutables que le cyclone et le volcan, comme le revolver, le canon et les mines flottantes le font assez voir. Mais il s’est fait aussi, par la machine, un grand changement dans les mœurs ; car une grosse machine à vapeur devait l’emporter sur plusieurs machines plus petites, et ainsi les travailleurs devaient être rassemblés en masse autour de l’usine, se soumettre au moteur, et apprendre les gestes mécaniques, parmi les poussières et les fumées ; d’où un genre de soif, un genre d’abrutissement, et un genre d’ennui dont nous apercevons les effets. Corrélativement la concentration des capitaux, la puissance anonyme du maître, la puissance aussi de l’esclave centuplée par l’outil énorme devaient instituer une sorte de guerre permanente répondant à un nouveau degré d’injustice. Et la puissance mécanique étend l’inégalité ainsi que la dissipation du travail ; Néron n’avait pas de trains spéciaux, ni d’automobiles, ni d’avions à son service. Ainsi le noir nourrisseur et dompteur de machines se trouve esclave par la machine, contre les lois, les maximes communes, et le bon sens. D’où l’on tire que le développement de la civilisation mécanique exige une autre révolution. Ces choses sont comprises maintenant de beaucoup.

Mais, à ce sujet, je veux dire encore ceci, qui est autre, et bien plus caché, c’est que la machine est, par elle-même, voleuse, j’entends qu’elle ne rend pas en effets ce qu’elle coûte en travail humain ; en sorte que, quand la puissance serait également partagée entre tous les hommes par l’institution de la propriété

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