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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/210

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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

collective, ils seraient encore dupes de la machine. Quand tous les travailleurs iraient à leur travail en avion, cette folle dépense d’énergie supposerait un dur travail de fabrication et d’extraction, qui ne serait point compensé par le faible plaisir d’aller vite.

Cette idée n’est pas facile à saisir. Elle suppose, d’abord, que l’on fasse le compte des travaux invisibles. Soit une machine à labourer ; cela émerveille parce qu’on ne voit plus l’homme maniant son hoyau, ou pesant sur le double manche de l’ancienne charrue. Mais il faut compter le pic du mineur, et le marteau du forgeron, par qui la machine est nourrie et faite ; le travail du hoyau se fait toujours, mais hors de vos yeux. Il faudrait en arriver à résoudre ce problème : « Combien de travail musculaire, évalué en kilogrammes et mètres, pour un boisseau de blé ? » Je considère ici un cas favorable, d’abord parce que la vitesse n’est pas recherchée pour elle-même, et aussi parce que la machine à labourer laisse un effet utile ; le champ est labouré. Mais si le marchand de blé roule ou vole à folle vitesse pour aller au marché, premièrement cette vitesse est ruineuse, le moindre accroissement de vitesse exigeant une dépense d’énergie qui croît bien plus vite que la vitesse même ; secondement la vitesse ne laisse pas d’effet utile ; l’homme se trouve au marché ; il n’y est point utile, ni intelligent, ni prévoyant en raison de la vitesse avec laquelle il y est venu. Si c’est le blé qui voyage vite, la conclusion est encore plus évidente. Il y a déjà longtemps que l’on est revenu aux grands voiliers pour le transport du blé. « Rien ne sert de courir.» Bref, toute injustice mise à

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