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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/215

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SOYONS AVARES.

Dès les premiers signes de ce que l’on a appelé la Vie Chère, je me LOIS DES
ÉCHANGES 

Dès les premiers signes de ce que l’on a appelé la Vie Chère, je me plaisais à dire : « Non, la vie n’est pas plus chère qu’autrefois ; c’est la monnaie qui ne vaut plus rien. Essayez de payer en camemberts, et vous constaterez que la vie n’est pas plus chère qu’autrefois. » Le fait est qu’un poulet vaut à peu près autant de camemberts qu’il en valait il y a dix ans. Cette remarque irrite. Chacun se dit : « Croit-il que je n’aie pas pensé à cela ? » Je ne sais s’il y a pensé une fois ; mais je suis assuré qu’il l’oublie dans presque tous ses discours ; il l’oublie, remarquez-le, lorsqu’il s’irrite contre le prix des choses, et contre les marchands, qui font de scandaleuses fortunes. Pour moi j’essaie d’évaluer ces bénéfices et ces fortunes en camemberts, puisque j’ai adopté cette unité. Et je suis prêt à parier que les bénéfices moyens, et même les bénéfices exceptionnels, évalués en rouleaux ou piles de camemberts, seraient à peu près ce qu’ils étaient avant la guerre. Par cet artifice, le paysage économique se trouve simplifié et en quelque sorte lisible.

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