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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/238

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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

étonnant ? Tout cela va à nous faire entendre que nous ne sommes pas si pauvres qu’on nous le dit. Et chacun le sent bien. Mais est-ce utile à dire ? Il y a pour et contre. Qui veut être payé se plaint. Qui veut crédit se pare.

J’ai reçu, comme tout le monde, le billet du percepteur ; comme

L’ÉTAT PERD
L’ARGENT.

J’ai reçu, comme tout le monde, le billet du percepteur ; comme tout le monde, je l’ai trouvé sévère ; j’étais tenté de le trouver injuste. J’ai appris qu’il faut rendre à César ce qui est à César. Il faut bien que César vive. Mais enfin il est attristant de penser que, de tout cet argent qu’on lui donne, César ne fabrique que des peines pour toute la terre. Dans ses jours et dans ses nuits il ne prépare que des épreuves pour les hommes. S’il dépense, c’est pour canons, obus et mitrailleuses ; s’il médite, c’est pour irriter ses ennemis et s’irriter lui-même ; s’il parle, c’est pour rappeler à tous ceux qui travaillent que la mort violente, donnée ou reçue, est la principale affaire, et qu’un éloge funèbre prononcé par César est le plus grand bien au monde. Va donc, mon argent, pour le mal de tous et pour le mien. Pour les bombes jetées et pour les bombes reçues, pour les gaz empoisonnés, pour l’incendie et la ruine. Car c’est la seule pensée des gouvernants ; les autres problèmes ne les réveillent qu’à moitié ; mais dès qu’il s’agit de montrer le poing national, voyez comme ils se redressent, comme leur voix claironne, comme leurs yeux brillent. Aussi jettent-ils tout à cette belle dépense ; sans compter ils jettent l’argent des citoyens ; sans compter ils jettent le

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