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INTRODUCTION

libéraux, est que la paix est menacée non par le conflit des intérêts, mais par le choc des passions.

« Les intérêts transigent toujours, les passions ne transigent jamais » ; voilà pour Alain la notion véritable des causes de conflit. Autrement la guerre serait morte depuis longtemps. Qu’on représente à n’importe qui le total exact de nos tués, celui des mutilés, des morts de maladie ; qu’on suppute les dévastations des champs de bataille, les immenses dépenses de vivres et d’armes, l’énormité du manque à gagner, du travail perdu, des désordres. Pourra-t-il dire que nous avons eu bénéfice à nous être défendus ? Et pourtant nous sommes vainqueurs, et nous avons donc risqué pis que nos malheurs. La joie de la victoire n’a donc rien de commun avec le plaisir du gain. Et, aujourd’hui que ce sont les citoyens qui sont soldats, et que dans toute l’Europe les mêmes délibèrent et combattent, et que les responsables doivent se risquer, qui hasarderait sa vie et la totalité de son avoir pour un bénéfice problématique de l’État abstrait, ou moins encore, de quelques princes ou groupes de particuliers ?

Il faut donc des passions nobles pour soutenir l’effort de la guerre ; quant aux occasions prochaines des conflits, l’imprudence, la vanité, la flatterie facile et toujours applaudie des passions guerrières rendent fort lourde la responsabilité des gouvernants ; lourde, pour la dernière guerre, aux chefs de Paris comme à ceux de Pétersbourg et de Berlin. Ami de cette extrême-gauche des Droits de l’homme et de cette Société d’études critiques qui ont hardiment reposé, ces temps ci, le problème des responsabilités, Alain se distingue d’eux : il donne aux chefs plus d’in-

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