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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/49

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PROLOGUE D’AVANT-GUERRE

entendre que, malgré une politique résolument pacifique, nous pouvions être attaqués ; la loi de trois ans avait pour objet de couvrir la frontière. Il semblait que nous étions tous d’accord sur la fin, et que nous ne discutions que sur les moyens.

Dans les circonstances actuelles, chacun peut voir ce qui en est. La Russie se trouve avoir un rôle décisif dans tous les conflits balkaniques. La force russe en est encore à ce point d’organisation où la loi de guerre est la loi suprême, au dedans comme au dehors ; l’invasion russe, que Napoléon prévoyait, va peut-être se faire mécaniquement, par la décomposition de l’Autriche. Or, par les lois de l’équilibre, nous nous trouvons pris dans ces forces, nous, la sagesse de l’Occident, nous qui en sommes certainement à détester les jeux de la force, même s’ils devaient nous être favorables, ainsi que l’honnêteté stricte l’exige. Nous sommes pris dans ces forces, voilà le fait ; il serait fou de nier le fait ; mais il n’est pas moins fou de galoper avec le fait. Nous sommes les modérateurs de l’immense Russie ; nous avons, par la position de nos armes, un immense pouvoir sur elle. C’était l’occasion d’affirmer notre Idée. Les nuances importaient. Ont-elles paru dans les discours ? A-t-il été dit que la France, dans tous les cas, attendrait un acte de guerre de son voisin ? Non. On s’est borné à des affirmations de pure forme. Et surtout, dans le fait, nous avons changé nos formations militaires de façon à permettre les plus dangereuses interprétations. Dans ces conflits de menaces, les gestes importent plus que les paroles. Une formation évidemment défensive, conforme à la politique radicale, était le langage le plus clair, et

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