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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/59

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LA GUERRE NAÎT DES PASSIONS

l’humeur des autres que la sienne propre ; et qui manie avec précaution l’humeur de l’interlocuteur est médecin de la sienne propre par ce moyen ; car, dans la conversation ainsi que dans la danse, chacun est le miroir de l’autre.

Je viens, par ces détours, à une idée importante et trop peu considérée. Je ne vois point que personne ait de politesse à l’égard des nations. Si un homme abordait ceux qu’il rencontre avec cet air soupçonneux qu’il fait voir dès qu’on lui parle de l’Allemagne, ceux qu’il rencontre seraient bientôt à son égard pires qu’il ne peut craindre, par la seule contagion de l’humeur. Ce sont les enfants qui croient qu’il y a des bons et des méchants ; l’homme d’expérience sait que tous sont passables dès l’abord et bons par quelque côté, et que de toute manière la paix est une chose difficile et qui réclame attention. Les hommes étant ainsi, cela fait pitié d’entendre dire qu’il y a des peuples violents, perfides, pillards. Et cela est effrayant à entendre, car je sais bien que l’humeur d’un peuple est plus changeante que celle d’un homme, et encore plus effarouchée, de façon qu’il sera comme on voudra et comme on dira. Messieurs de France, soyons polis.

Il l’a dit, ce mot que je ne veux pas écrire ; ce mot qui est laid par lui-même LE MOT
BOCHE.

Il l’a dit, ce mot que je ne veux pas écrire ; ce mot qui est laid par lui-même et qui rend laid celui qui l’a dit ; l’injure officielle, et en vérité presque imposée, que plus d’un académicien a tenté d’élever jusqu’à lui ; mais le plus bas nous guette toujours et nous saisit promptement, et il est plus vite fait de s’avilir que de se

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