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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/61

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LA GUERRE NAÎT DES PASSIONS

sagesse populaire a toujours aperçu que la violence, parce qu’elle n’est pas sans risque, est de toute façon le remède de l’insulte, et que celui qui est jeté de l’insulte à la violence se trouve puni par sa propre volonté, ce qui est la justice la plus profonde sans doute. C’est pourquoi, de ceux qui risquaient leur vie, l’injure ne m’étonnait pas plus qu’un coup de canon. Et encore maintenant, et quoique la paix soit établie, la même injure venant d’un homme jeune, avide d’action et de gloire, et qui met d’avance sa vie en jeu, me paraît, il est vrai, imprudente, dangereuse pour tous, mais non pas laide et vile. Mais ce petit vieillard n’a certainement pas considéré que d’autres répondent pour lui, et qu’il n’est courageux ici que par procuration, ce qui n’est pas beau. Il y eut, il est vrai, d’illustres exemples ; mais dans un temps de fureur et de folie, ou l’exemple de l’action, présent et sensible à ceux qui ne pouvaient agir, devait produire une sorte de convulsion qui se traduisait comme elle pouvait. Mais la grimace volontaire est indigne de l’homme.

Que puis-je penser, si l’homme a quelque pouvoir, si, par ses fonctions, il risque d’être pris comme exemple et modèle ? Et quel avenir pouvons-nous espérer si la conscience commune juge sans sévérité, et même avec faveur, l’insulteur qui paie du sang des autres ? On a assez dit qu’il est dangereux pour l’ordre que ceux qui décident de la guerre, par imprudence, vanité ou faiblesse, n’en soient pas les premières victimes. Mais l’on cherche les responsables souvent trop haut ou trop loin. C’est pourquoi, et justement parce que j’honore l’espèce humaine, en tous ses visages, j’essaie de piquer ici au bon endroit

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