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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/62

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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

plus d’un imprudent, et ce vieil homme lui-même, qui certainement a parlé sans penser.

On demande : « Que pensent les Allemands ?UN PEUPLE N’A PAS
DE CARACTÈRE.

On demande : « Que pensent les Allemands ? Que veulent-ils ? Qu’espèrent-ils ? Que peut-on attendre d’eux ? » On convient qu’on n’en peut rien savoir ; mais on parle de ces opinions, de ces sentiments, de ces intentions, comme si c’étaient des choses réelles et bien déterminées, seulement cachées. Comme un filon sous la terre, il y est ou il n’y est pas ; que je le cherche ou non, que je le trouve ou non, que je le soupçonne ou non, cela ne change pas le fait. Il est effrayant de penser que nos docteurs en politique raisonnent presque tous comme si les opinions étaient des choses fixes, inertes, insensibles. Les mêmes hommes sentent pourtant bien que nos opinions à nous et nos sentiments à nous, et nos intentions et nos espérances varient du tout au tout selon ce que nous supposons des pensées de l’adversaire. N’importe quel homme de chez nous trouve en lui confiance, défiance, modération, colère, tous les extrêmes et tous les partis, d’après ce que dit l’adversaire, ou plutôt d’après ce qu’on dit qu’il dit. Mais lui, l’adversaire, on ne suppose point qu’il change aussi d’une minute à l’autre, et par les mêmes causes. On veut qu’il soit tel ou tel ; méchant ou bon, franc ou rusé, pacifique ou belliqueux, démocrate ou fanatique. Nous n’arrivons pas à faire un choix, nous autres, entre nos pensées, de façon à pouvoir dire quelle est notre vraie pensée ; et nous voulons que l’adversaire fasse en lui-même ce choix ;

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