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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/64

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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

thousiasme, dans le désespoir, comme on peut voir pour chacun et pour soi, celui-là supportera aisément dans le peuple ennemi les mêmes changements, la même richesse ; la même variété, la même instabilité qu’en lui-même. Et je suis assuré qu’un Allemand moyen, quand il pense à la politique européenne, est, dans la durée d’une heure, successivement farouche et pacifique, confiant et désespéré, doux et violent, résigné et obstiné selon ce qu’il lit, entend et imagine, absolument comme nous. Dont le mauvais vouloir fera sortir tout le mal possible. Mais il est temps que la bonne volonté s’y mette aussi.


La guerre nous tient dans un cercle. Un Allemand LE FOSSÉ
D’INIMITIÉ.

La guerre nous tient dans un cercle. Un Allemand qui se fixerait en France serait bientôt Français, par la puissance de la langue, des mœurs, des lieux. Mais la perspective d’une guerre l’arrête et le trouble ; il est déchiré entre ses deux patries ; il ne veut point servir en armes pour la nouvelle contre l’ancienne ; il ne veut point avoir un frère, un beau-frère, un cousin, un neveu dans l’autre camp. Le voilà donc installé chez nous comme un étranger, suspect à tous ; on voit déjà en lui un espion, toujours d’après l’idée d’une guerre probable et préparée des deux côtés. La coupure entre les deux peuples, le fossé d’inimitié se trouve marqué justement là où devrait se faire la fusion et réconciliation réelle. Cet exilé vit donc avec sa patrie absente ; il se trouve exclu de la vie publique dans le lieu où sont ses intérêts ; il est soumis à un régime d’exception ; il le sait ; il le veut. État violent, et secret, ce qui est pire. Le mouvement de la popu-

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