Aller au contenu

Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/67

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.






LA GUERRE NAÎT DES PASSIONS

La première erreur qu’il faut effacer, c’est que les hommes font la guerre par goût d’usurper ou de piller ; cela peut être dans un petit nombre ; mais le gros se bat toujours pour un droit ; ou bien il le croit fermement, ce qui revient au même. C’est ainsi que l’ardeur des procès résulte bien moins de l’avidité que d’un attachement quasiment mystique à un droit ou à ce que l’on prend pour un droit. Mais approchons plus près, sur cet exemple des procès. Non seulement les plaidants voient toujours quelque droit, et plaident, en quelque sorte, pour faire triompher la justice ; mais bien plus il est vrai que dans tous les procès il y a apparence de droit des deux côtés, par la complication des affaires et par l’insuffisance des contrats, qui ne peuvent tout dire ; tout l’édifice du droit écrit et de la jusrisprudence répond à cette difficulté majeure de trouver à décider, quand le bon sens découvre de part et d’autre des raisons évidentes et fortes. C’est ce qu’on ne comprend pas aisément ; et j’ai trouvé plus d’un naïf qui raisonnait ainsi : « Puisque c’est l’un des deux qui a raison, il y a certainement un des deux avocats qui est payé pour mentir. » Mais entendez là-dessus les avocats, les avoués et les juges, ils vous diront qu’un avocat ne ment jamais, qu’il n’a pas besoin de mentir ; que ce grossier moyen le rendrait aussitôt ridicule, et qu’un procès n’est possible que par deux apparences de droit qui se peuvent très bien soutenir, sans aucun mensonge et sans aucun sophisme. C’est pourquoi le jugement, qui décide entre les deux, devient aussitôt un élément du droit, et un argument fort dans les procès qui suivront. Mais aussi le droit est difficile à saisir, parce que les

⸻ 63 ⸻